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세바시 1380회 | 창의적인 글쓰기의 비법 : 관찰, 공감 그리고 확장 | 베르나르 베르베르 소설가, '개미'·'고양이'·'문명' 저자

창의적인 글쓰기의 비법 : 관찰, 공감 그리고 확장

 

 

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베르나르 베르베르, "글을 잘 쓰려면 고양이를 키워라"

 

 

베르나르 베르베르

 

프랑스어

Quand j’ai écrit la série de romans sur les chats,
je ne m’attendais pas à ce que l’écriture allait me forcer à faire un travail de chamanisme.
Jusque là, quand je vivais avec mes chats, je vivais ‘normalement’ avec mes chats.
Mais dès le moment où j’ai décidé d’écrire les livres,
j’ai été obligé de les regarder un peu plus et de m’intéresser un peu plus à eux.
Souvent, on croit que parce qu’on aime un animal, on le comprend.
Mais en fait, pour vraiment comprendre un animal, il faut se mettre à sa place.
Et c’est ce que j’ai fait pour écrire le livre,
à savoir, je me suis mis à la place du chat et je me suis demandé
qu’est-ce qui lui fait plaisir et qu’est-ce qui le contrarie.
Et la première chose qui m’est arrivée à l’esprit, ce qui le contrarie, c’est que les portes soient fermées
parce que ça m’empêche d’aller d’une pièce à l’autre.
Et la deuxième idée, c’est, ce qui le contrarie, c’est qu’il n’ait pas la nourriture au moment où il le veut.
Aimer un animal, ça ne veut pas forcément dire, le comprendre.
Et je crois que, si on a un chien ou un chat, il est intéressant de faire cet exercice tout simple
qui est juste de fermer les yeux et d’essayer de se mettre dans son esprit.
Imaginer comment il nous voit,
essayer de sentir quelles sont ses préoccupations,
et essayer de savoir aussi qu’est-ce qui ne lui convient pas.
Dès le moment où on se pose ces questions,
qu’est-ce qu’il a envie, qu’est-ce qui ne lui va pas,
les réponses arrivent.
Et au moment où j’ai écrit Les Chats,
j’ai tellement reçu de réponses que je me suis dit,
je vais pas pouvoir faire tout contenir dans un seul roman, il va me falloir trois romans.
L’une des informations qui m’est apparue en me mettant à la place d’un chat,
c’est d’abord, je deviens plus souple.
Je me suis aperçu que notre corps humain est extrêmement rigide.
Nous avons une colonne vertébrale épaisse et dure
et quand on se met à la place d’un chat,
on a tout de suite la sensation d’être plus souple
parce que la colonne vertébrale ondule, bouge et lui permet de faire beaucoup plus de mouvements.
De manière générale, je crois que le chat est plus heureux dans son corps que nous.
Il a moins mal au dos,
il a des possibilités d’étirement,
il a des possibilités de mouvement du corps que nous n’avons pas, nous.
Peut-être aussi, le fait d’avoir une queue lui permet de s’équilibrer.
Nous, il ne nous reste plus grand-chose de notre queue, donc nous n’avons pas cette possibilité.
Il y a aussi d’autres choses que j’ai perçues en observant le chat et en essayant de me mettre à sa place,
c’est le fait d’avoir les oreilles orientables.
Nos oreilles, nous, sont fixes.
Très peu d’humains arrivent à les bouger un peu comme ça
mais si on essaie de se visualiser en chat,
on s’aperçoit que nos oreilles étant comme ça,
on peut focaliser.
C’est-à-dire que on peut diriger le son
et il suffit à faire ce geste,
je vous invite à essayer,
et vous verrez, vous percevez différemment les sons et vous pouvez orienter la source et vous couper des sons extérieurs
et vous avez une perception des sons qui est beaucoup plus intéressante.
On perçoit mieux les sons, on bouge différemment du corps,
et aussi une autre idée qui était à intégrer,
c’est, ils ont un spectre de perception de la lumière qui est plus large que nous.
Donc ils y voient dans le noir.
Que peut voir un humain qui peut percevoir des choses dans le noir ?
Ça aussi, c’est des questions nouvelles que je ne me posais pas avant.
Il y a enfin une autre chose que je trouve admirable chez le chat,
c’est une capacité d’être heureux.
Je crois que nous sommes toujours dans une sorte d’agitation
et dans un devoir de faire des choses.
Le chat, lui, prend son temps.
Déjà, il trouve l’endroit où il va se sentir bien, et il s’y installe,
et là, c’est comme si il recevait des ondes et qu’il envoyait des ondes.
Nous, nous n’avons pas cette préoccupation de chercher un endroit où on se sent bien.
On va à l’endroit où il y a une chaise.
On va à l’endroit où il y a une table.
Mais on ne se pose pas la question, est-ce que cet endroit a une bonne énergie ?
Et... voilà. En écrivant le roman, je me suis aperçu, quand je rentrais dans une pièce ou dans un restaurant,
je me demande quel est l’endroit où il y a la meilleure énergie
et où je peux me poser, me ressourcer.
Il y a des choses qui m’ont troublé aussi quand j’ai vécu avec mon... à force de vivre avec les chats,
c’est que quand moi, je ne vais pas bien,
le chat vient vers moi et se met à l’endroit où je ne vais pas bien,
si par exemple, j’ai mal au ventre,
il va se mettre sur mon ventre, il va se mettre à ronronner.
Ça veut dire que le chat n’est pas un animal égoïste.
C’est un animal qui, quelque part, nous veut du bien.
Toutes ces choses-là, je n’y faisais pas attention avant d’être romancier.
Je crois que c’est l’un des grands avantages aussi d’être romancier,
c’est qu’on est un peu plus attentif.
Et je crois même, c’est la plus grande qualité d’un romancier,
c’est non seulement regarder réellement tout ce qu’il y a autour de lui
mais essayer de faire cet acte qu’on pourrait appeler, d’empathie.
L’empathie, c’est pas seulement vouloir être gentil envers l’autre
mais c’est se mettre à la place de l’autre.
J’avais commencé à faire un peu ce travail avec Les Fourmis,
mais avec Les Chats, le travail était plus subtile parce que les chats ont un regard alors que les fourmis n’en ont pas.
Mais vous pouvez faire ce travail avec votre animal et même avec n’importe quel animal,
juste vouloir regarder et vous poser la question, qu’est-ce que lui, il voit et qu’est-ce qu’il ressent ?
Ce travail d’empathie qui me semble à la base du travail d’écrivain,
on peut même le faire avec des êtres très différents de nous :
on peut le faire avec des poissons,
on peut le faire avec des arbres,
se demander qu’est-ce que ressent l’arbre.
Comment il perçoit la lumière.
Comment ses racines perçoivent la terre.
Comment il sent l’humidité.
Et dès le moment où on se pose cette question, il y a des idées qui arrivent.
Et, pour moi, c’est une grande source de créativité.
Mais on peut le faire aussi avec d’autres êtres humains.
C’est un exercice auquel je m’amuse souvent.
Alors je suis, par exemple, dans un restaurant,
je regarde quelqu’un au loin
et j’essaie de savoir quelle est sa vie.
Alors je vais me fier sur son attitude, je vais me fier sur la manière dont il bouge ses yeux,
la manière dont il sourit, peut-être la manière dont il parle à la personne en face
et il va m’arriver automatiquement des informations.
Est-ce que cette personne est heureuse.
Est-ce que cette personne a une bonne santé.
Est-ce qu’elle souffre, est-ce qu’elle est contrariée,
est-ce qu’elle est satisfaite d’être là à ce moment avec cette autre personne...
C’est juste des choses qu’on ne s’autorise pas à se poser comme question
mais dès le moment où on s’autorise à s’intéresser vraiment à l’autre
à faire cet acte que j’appelle empathie,
on s’aperçoit que nous avons des sens,
nous avons une capacité à percevoir beaucoup plus d’informations que nous le croyons.
Donc voilà, je vous invite à faire cette expérience.
Dans mon travail d’écrivain,
j’ai l’impression que mon devoir est, tous les jours, de me nourrir d’informations nouvelles.
Donc je cherche en permanence à projeter ma pensée à l’extérieur de moi.
Je ne pourrais pas rester enfermé dans une pièce où il n’y a pas une fenêtre,
où il n’y a pas de rencontres avec des gens.
Je crois que le contraire de la créativité, c’est rester enfermé
et dès le moment où on veut être créatif, il faut s’intéresser aux autres,
il faut aller vers les autres,
il faut voyager,
il faut surtout s’intéresser à des systèmes qui sont différents de nous.
Donc là, sur Les Chats, je suis allé vers un animal qui est différent de nous
mais dès le moment où on fait ce petit exercice de projection de sa pensée,
on s’aperçoit que ce monde est rempli d’informations passionnantes que nous recevons parfois inconsciemment
mais que nous pouvons recevoir consciemment.
Et c’est parfait pour créer, pour écrire.
Je crois que tous les artistes sont un peu des chamans,
c’est-à-dire qu’ils font cet exercice de se brancher sur l’extérieur,
de se brancher sur la nature
et de se laisser envahir par ces informations étrangères.
Voilà. Je crois qu’on n’a pas besoin d’aller chercher très loin.
Il suffit même d’être près d’un jardin ou près d’une rue ou dans une salle
et tout d’un coup, de regarder réellement les gens,
de s’intéresser réellement aux gens.
Et à ce moment-là, on découvre des tas de choses fantastiques.
En tout cas, je crois que c’est le centre de tout mon travail :
c’est s’intéresser aux autres,
et se laisser informer par les autres.
Là, mon prochain livre parle des abeilles
donc actuellement, je suis en train d’observer des ruches d’abeilles
et je trouve ça passionnant.
Voilà, j’espère que ça vous amusera et que ça vous plaira.
En tout cas, voilà l’un des grands secrets de ma créativité.
C’est cette projection dans d’autres formes de pensée que la mienne.
C’est un peu ce que va découvrir mon héroïne Bastet, la chatte Bastet,
c’est que plus on s’intéresse aux autres,
plus on s’élargit soi-même.
Et le livre Demain Les Chats démarre d’ailleurs sur cette scène
où tout d’un coup, elle a l’impression que son esprit sort de son crâne
et s’élargit, s’élargit, au point de pouvoir connecter d’autres formes de vie.
C’est une expérience que j’aime bien faire,
c’est tout d’un coup, sortir de mon corps,
sortir juste de la limite de mon crâne
et imaginer que mon esprit peut, comme une nappe, s’étendre
et rentrer en vibration avec d’autres... d’autres choses.
Déjà, sortir, peut-être, sortir de l’appartement, sortir...
Enfin, s’élargir au point de d’aller dans le cosmos, d’aller dans l’univers...
C’est juste un jeu d’esprit, c’est juste un jeu d’imagination
mais en tout cas, ça nous rend plus ouvert.
Parce que, si on ne le fait pas, cet exercice,
ça veut dire qu’on se résume à soi.
On se définit par son nom, on se définit par son apparence,
on se définit par le regard des autres
et en fait, c’est une prison.
Je crois que rester limité juste à l’égo,
rester juste limité à son apparence humaine,
c’est une manière d’être prisonnier de quelque chose, finalement, de petit.
Et ma chatte, Bastet, elle a plein de qualités, elles a plein de défauts,
mais au moins, elle a compris ça.
Elle a compris que, elle pouvait s’élargir, élargir son esprit pour rentrer en vibration avec le reste,
et donc, la première chose qu’elle fait, c’est qu’elle essaie de se connecter à une souris
pour essayer de lui dire, je ne te veux pas de mal, je veux juste essayer de communiquer avec toi.
Et là, elle va s’apercevoir que c’est très difficile
parce que si les autres ne sont pas habitués à recevoir cette énergie
et ils ne sont pas habitués, eux, à sortir de leur corps,
ils rentrent dans la peur.
Donc, ça me semble un grand enjeu du futur.
Notre capacité à s’oublier,
notre capacité à s’élargir
et notre capacité à, une fois qu’on s’est oublié et qu’on s’est élargit,
à rentrer en vibration avec le reste du monde.
Ça ne m’a pas l’air lié à une forme de mystique...
Même pas de spiritualité.
Ça m’a juste l’air lié à une forme de curiosité.
Comment utiliser son esprit autrement que pour juste l’associer à nous.
Et aussi, comment sortir de la définition que nous donne, et notre famille, et notre... Nos collègues de travail...
Je ne suis pas que Bernard Werber définit par un âge, par un métier, par une nation, par un sexe.
Je suis un esprit qui, a priori, n’a pas de limites.
Mais vous, vous n’êtes pas seulement définit par votre sexe, votre corps, votre âge, votre métier, votre nation.
Vous aussi, quelque part, vous êtes un esprit
et c’est dès le moment où on prend conscience de ça
qu’on devient quelque part immortel
et qu’on devient capable de tout intégrer.
Quand on se limite à ce qu’on est,
on se limite aussi, par exemple, on se dit,
pour un étudiant, il arrive en telle année d’études, il va se dire,
voilà, je suis capable de comprendre des choses qui correspondent à ces années d’études.
Mais s’il se perçoit comme un esprit,
il n’est plus limité.
Il peut se percevoir juste comme une sorte d’entité intelligente qui n’arrête pas de se nourrir d’informations
parce que ces informations l’enrichissent.
Voilà, donc ce que j’essaie de donner envie à mes lecteurs à travers mes livres,
c’est de faire ce même exercice.
S’élargir, penser autrement,
s’oublier,
être capable de créer une zone de vide qui puisse être remplie par l’énergie extérieure.
Quand on fait ce travail avec ces animaux...
Si vous voulez parler avec votre animal.
Si vous voulez parler avec votre chien ou votre chat.
Faites juste l’exercice.
Vous fermez les yeux,
et vous laissez venir sa pensée comme si, chez vous, c’était vide.
Et vous laissez venir la pensée animale.
Et il va se passer quelque chose.
Déjà, votre animal va percevoir que vous pouvez l'accueillir,
que vous pouvez recevoir cette énergie-là.
Voilà, je crois que nous vivons... notre génération, une époque extraordinaire
car ce genre d’expérience peut être fait en dehors de la religion, en dehors d’un cadre précis
juste avec notre capacité à nous oublier et à laisser l’extérieur venir.
Quand j’écris, je me perçois comme un canal récepteur.
C’est-à-dire que c’est un peu comme si j’étais une antenne radio
qui reçoit des messages ou un message qui vient d’en haut ou sur le côté
et il y a un moment, en général, j’écris de 8 heures à midi et demi,
et il y a un moment vers 11 heures
où c’est comme si tout ce que j’avais positionné arrive à un point de climax
dans lequel je suis... je m’oublie entièrement
et je ne suis qu’un canal de réception.
Et à ce moment-là, je tape très vite avec les 10 doigts.
Et c’est comme une transe.
Là encore, j’utilise le terme transe chamanique.
C’est-à-dire, j’oublie le temps, l’espace, qui je suis.
Je suis juste une entité en train d’écrire très très vite.
Et ça, c’est une expérience extraordinaire.
C’est une expérience de joie
et c’est une expérience aussi de fabrication de monde.
Après, des fois, je me relis, je ne comprends même pas ce que je raconte,
et je sais que, souvent, ces passages que j’écris en transe sont les passages les plus intéressants
parce que c’est les passages où j’essaie pas d’expliquer quelque chose ou j’essaie pas de faire joli ou de montrer quelque chose,
c’est juste les passages où je laisse mes personnages vivre comme s’ils étaient indépendants.
Et c’est aussi, ça aussi, c’est très agréable.
Quand on a bien construit ces personnages, qu’on a trouvé des personnages qui fonctionnent tous seuls,
qu’on n’a plus besoin de les diriger.
Un peu comme un montreur de marionnettes.
Un montreur de marionnettes, il dirige ces marionnettes
et il y a un moment où les marionnettes se mettent à vivre
donc vous pouvez enlever la direction et vous regardez juste les marionnettes et vous êtes au spectacle.
Des fois, je suis comme au cinéma, je regarde mes personnages vivre et faire des choses,
ou je les écoute dialoguer.
Il peut m’arriver de rire en voyant que mes personnages disent des choses auxquelles je n’avais pas pensé.
Et ça, c’est vraiment l’un des grands régals de ce métier.
C’est qu’il y a... Lorsqu’on le pratique bien et lorsqu’on est à l’aise avec ce métier,
il n’y a plus que de l’émotion et de la joie.
Et je crois que c’est parce que l’écrivain connaît ça que le lecteur lui-même va pouvoir percevoir cette joie et cette émotion.